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5 novembre 2008 3 05 /11 /novembre /2008 02:36

annoté par mes soins  –  cliquez ici pour lire les notes cacher les notes

Des bols envoûtants

Mais quelle est donc cette sorcière dont les bols ont le pouvoir de faire pleurer d'émotion ? euhhhh ... Intrusion dans l'atelier de Christina Guwang, à la poursuite du fragile processus de création qui en­gendre déceptions ou miracles...
TEXTE DE MARIE-AMAL BIZALION,  PHOTOS DE GILLES LEIMDORFER

Merci à Marie-Amal et à la revue des Ateliers d'Art de m'avoir consa­cré cet article ! Réputée un poil tatillonne, je n'ai pu y jeter un œil avant sa parution. Cachées pour ne pas nuire au texte original, j'ajoute donc ici mes précisions en espérant que la rédaction ne m'en tiendra pas rigueur :)


Ce soir, Christina va défourner. Depuis l'aube, elle entrouvre son vieux four à gaz d'un doigt, de deux, d'une main, de peur qu'un choc thermique ne fasse sauter l'engobe. Après dix-huit heures de cuisson, quand d'autres abrè­gent l'épreuve du feu en huit heures, Christina trouve encore l'énergie de porter une énorme bassine d'eau à Nougat, son cheval à robe Appaloosa, de ren­trer ses poules, de sauver un frelon englué dans un verre d'orangeade. l'énergie… entre-temps il y a quand-même eu trois jours de refroidisse­ment ! Une canicule rare s'est abattue sur la Vienne, mais la frêle céramiste serre son gilet contre son corps glacé qu'elle oublie trop souvent de reposer.

Il lui faut réussir ce four, c'est vital : la semaine prochaine, elle expose à Aubagne où se tient la 10e biennale d'Argilla, grand rendez-vous des arts de la terre. D'autant que, cette année, l'un de ses bols est élu pour illustrer l'affiche. Comme pour les célèbres Journées de la céramique de la place Saint-Sulpice à Paris ou le Festival de la céramique d'Anduze, elle arrivera sur place la veille, passera la nuit (trente heures à St Sulpice…) à peaufiner ses accrochages, à jouer des transparences et de la lumière, bref, à rendre fous les organisateurs. (ils sont trèèès patients !) « Ce sont mes gènes boches qui ressortent, je m'acharne pour atteindre la perfectionje m'acharne pour atteindre la perfection, (je ne supporte pas l'échec). » Les gênes boches, oui, ça rend un peu tatillon, mais je ne pré­tends pas à la perfection, ça n'existe pas, c'est relatif à chacun… on essaie juste de faire du mieux qu'on peut, à un moment donné. Je veux simplement faire quelque chose qui me plaise, et ne serait-ce qu'à ce moment-là…
Quant à ne pas supporter l'échec, ce n'est pas en soi que je ne l'encaisse pas, mais ce sont ses conséquences : faire moche n'étant guère encoura­geant, cela m'entraîne dans une spirale infernale… et à moins d'un chouette accident qui m'ouvre de nouvelles perspectives, il est difficile d'en ressortir !

portrait à atelier

Merci à Gilles Leimdorfer pour ce portrait, et avec ma pomme il a bien du mérite ! (sauf que le téléphone dans la poche fait bizarre… et le bouton sur le pif, je l'ai gommé…)

Née en 1961 à Mannheim de parents allemands, Christina fait ses premiers pas en Guinée, arrive à huit ans au Mali, passe son adolescence à Madagas­car. À dix-huit ans, elle intègre les Arts décoratifs de Nice, puis ceux de Strasbourg dont elle sort diplômée en 1985. Déjà les mains dans la terre, elle y invente son langage : un fol enchevêtrement de signes cunéiformes (je les appelle « curviformes ») correspondant aux vingt-six lettres de notre alphabet. Aujourd'hui encore, il lui arrive de graver des poèmes aussi beaux que simples sur ses « cailloux » de grès poli, laissant aux curieux le soin de les décrypter, aux amoureux celui de les caresser. Ils jalonnent un parcours d'une rare pugnacité, ins­crivant dans l'espace-temps une rage de vivre qui déplace les montagnes.

Car elle en a rencontré, des montagnes sur son chemin. Santé fragile, apprentissages douloureux, isolement, inquiétude d'un milieu peu enclin à « la bohème ». Elle a ravalé sa fierté tournant dans l'ombre de célèbres potiers, a exécuté et décoré des pièces au millimètre pour Suzy Atkins pendant dix ans. Oulalaa, c'est bien dramatique ! Non, chuis pas Cendrillon
Je pense qu'il y a quelques raccourcis… …à rallonger – et vous verrez que les montagnes, en l'occurrence, seraient plutôt celles du Plat Pays… :)

— Santé : non, pas fragile … peut-être un peu fatiguée quand je ne dors pas assez… — apprentissages douloureux : non, juste un peu laborieux pour le tournage — ravalé sa fierté etc… NON, on n'a pas bien dû se comprendre, pardon :
D'avoir été chez Jacky Coville fut au contraire une belle chance et je ne le remercierai jamais assez de m'avoir appris à anser (il en est le maître incontesté) … et il est aussi le père de Martial (mon ex-époux) qui m'a appris à tourner…
De même, Suzy Atkins m'a beaucoup apporté : l'engobe et le décor – et la série est une bonne école – et j'ai découvert le grès de La Borne et ainsi le plaisir de tourner ! Et, last but not least, Suzy et son mari m'ont fait confiance – très vite j'ai pu m'installer ici, tout en tournant pour eux, ce qui m'a permis de mettre au point mon propre travail sans que ce ne soit galère.

Donc merci à eux tous, mais aussi à Brigitte Pénicaud et Claude Varlan qui m'ont souvent pistonné apporté leur soutien… et de tout cœur à ma fa­mille qui m'a tant aidé – alors même que mon père n'ait pas toujours été très heu­reux de mes choix (la vidéo et la "Comm" avaient bien plus d'avenir que la poterie…) – Merci !
Un jour vint le coup de foudre * pour le Limousin (le Centre plutôt), ses collines alanguies, ce bocage aux haies porteuses de vie bourdonnante. Et ce long corps de ferme, son atelier, son écurie, son refuge. (* pour la maison avant tout)

L'heure approche, la porte du four va enfin s'ouvrir grand, mettant un terme aux semaines d'insomnies, de doutes, de crises. Depuis quelques instants, le téléphone sonne sans interruption ; un ami s'enquiert de son moral, une fanatique'fan' annonce sa venue, un commissaire d'exposition (c'est un ami) tâte le terrain. Bon moral ou trente-sixième dessous ? Il est encore trop tôt, la porte entre­bâillée n'a pour l'instant livré que des coups de sang – « Merde, mes rouges sont blancs ! » (finalement ils étaient bien rouges, sauvée !) – et quelques espoirs.

19h30. Christina rassemble ses fiches et son plan de four : cent dix bouts de papier numérotés, autant de bols scrupuleusement annotés, étape par étape. Tout y est consigné : le moindre accident, le nombre de biscuits (en général deux passages à 1000° avant l'ultime cuisson, à 1312° précisément) (douze ?? ~ 1310° au pyro, 1320° ou plus dans le bas, la montre à 1300° est bien fondue) et le croquis détaillé d'enfournement, un casse-tête qui a pris douze heures. Certains bols méritent d'être léchés par la flamme, d'autres doivent s'en écarter. Ceux émaillés émaillés engobés de rouge requièrent une attention extrême tant cette couleur capricieuse peut virer pour un degré de tropun degré de trop. quelques degrés en moins et le rouge restera beige – pire encore pour les blancs, où les places sont comptées car ils ne seront bien blancs qu'au dernier étage et avec un peu de chance ! En principe, en quatre heures le four sera vidé. En principe... Car il faut encore dégager le bric-à-brac qui encombre les quatre tables du long atelier en terre battue coiffé d'un baldaquin de toiles d'araignées. Autour du poêle-tonneau en fonteen fonte en acier, sur les étagères et les fauteuils avachisles fauteuils avachis le transat, s'empilent des centainesdes centaines !! une trentaine… (tu ne serais pas un peu de Marseille ??) :) (hi, hi, elle l'est !) de boîtes de cigarillos (proprement empilées en un petit tas sur la caisse à bois en attendant l'hiver et le feu), des bassines pleines d'eau, de grosses bûches de chêne avec de jolies écritures de vers (euh… d'insectes), un fatras géant de tamis, pots et seaux de plastique, bols au rebut, vêtements, pinceaux, crayons, chiffons... Sur une planchette miraculeu­sement épargnée par le chaos trônent les petites œuvres de ses nièces. Au fond, le tabouret africain sur lequel Christina décore ses pièces, les coudes calés entreentre :) sur ses cuisses. (Et juste le gauche, celui qui tient le bol)

Et pour ce qui est du bor... bazar, c'est bien cela qui me peine… en fait j'ai toujours travaillé dans un atelier bien rangé, si, si !! Petit à petit, depuis que je travaille pour moi, je me suis laissée déborder (« j'ai pas l'temps ») et jusqu'à présent le courage me manquait pour en venir à bout… Mais avec l'aide (et l'insistance surtout !) de mes amis cela va se faire l'éte prochain !!

Son tour de potier, lui, a intégré cet hiver la salle à manger, tant il a fait froid ici. Un tour monté par son père, massif comme un bahut - il n'en faut pas moins pour résister à la pression énorme que les mains fines et musclées de la tourneuse hors pair infligent au grès de La Borne (euh…). Dure comme du bois, étirée à la limite de la rupture, la terre reste d'une solidité sans faille et d'une finesse incomparable. Contrairement aux autres potiers, Chris­tina n'a guère besoin de tournasser pour rectifier le galbe – parfait – de ses pièces. « Les gens ne voient pas le centième de ce que j'ai fait. Je peux m’achar­ner sur un bol pendant trois jours. » Non, c'est un raccourci, je ne "m'acharne" pas sur un bol trois jours durant (et certainement pas au tournage), mais un décor multicolore en réserves successives à la cire peut s'étaler sur trois jours pour une question de séchages intermédiaires.
Ou alors en ce sens que je peux quelquefois passer des heures sur un décor, pour finir par l'effacer et recommencer le lendemain… et si ça ne va toujours pas, ça peut effectivement prendre trois jours !

tas de bols boules à l'enversZébrés, striés ou à damiers, les bols de Christina Guwang relèvent d'une savante alchimie, entre rigueur germanique et exquise fantaisie

Cliquez donc sur l'image pour voir d'autres bols de 2009 !

Un équilibre précaire

20h30. Christina écarte enfin la tenture de laine bariolée qui sépare le four de l'atelier, soulagée. A priori pas de casse ; les blancs sont purs, les noirs d'ébène, les rouges restent cachés par les autres. Mais bien vite la sanction tombe : « Celui-là semble danser, il paraît un peu trop précieux, je n’aime pas son air sournoisje n’aime pas son air sournois. » précieux, oui – sournois, je ne vois pas d'où ça sort…

Le soleil est couché depuis longtemps. Christina soupèse, retourne, écoute chaque bol, le critique d'un ton rauque, enrage pour un détail invisible, tente de relire ses fiches de son propre aveu illisibles, s'excuse en un rire flûté(flûté ?). De ce long monologue on retiendra qu'elle polit chaque pièce à cru pour rentrer les grains de chamotte (au moment du tournassage, extérieur et intérieur) sans en perdre l'aspect pierreux, qu'elle procède souvent par trempage dans l'engobe (que je polis aussi) avant d'y peler stries, volutes ou damiers pour retrouver le grès nu, biscuite et recommence, trace aussi des réserves à la cire, ajoute à la poire des picots d'émail (gouttes ou traînées … d'engobe…), mixe parfois tout ça. Que la longue épreuve du décor la met « au bord du suicide » (cet été seulement, quand rien ne me réussissait – mais comme ce n'est pas mon genre, c'est une façon de parler…). Qu'elle se concentre désormais sur trois couleurs et une seule forme, passe un temps fou à poncer sur cuit pour adoucir la lèvre d'un bol – pas seulement la lèvre, intérieur et extérieur aussi.

Ils ont pour nom Calebasse, Oursin, Zèbre... Sautant du coq à l'âne, elle raconte la femme architecte qui s'effondre en larmes en découvrant ses pièces (archéologue peut-être, et cela m'a seulement été rapporté – devant moi, ils se tiennent bien…), l'homme ignorant tout des arts oh non, tout le contraire ! (le fait est qu'il n'était nullement collectionneur et depuis il en a plein, mais que de moi !) qui lui prend six bols d'un coup (à 150 € pièce) et comme elle se fiche de l'argent, se contentant de 5 000 € par an pour vivre (pas de besoins – et sur­tout pas de télé ! – ça donne la liberté de faire des pièces uniques qui prennent du temps !). Les uns lui prêtent des influences éthiopiennes, les autres une incursion dans le néolithique, le cabalistique (là, j'avoue, j'ai sorti le dico)« Moi qui ne sais même pas d'où me viennent ces motifs *… Un squelette d'oursin offert par ma mère, le chaos des calanques de Piana ? » (* en fait faut pas chercher, des points et des lignes, c'est pas bien sorcier, y en a partout !)

Soudain, une voix de toute petite fille s'esclaffe : « Le miracle, le bol par­fait ! » ça devait plutôt être une grosse voix, et du genre : « ah, ça l'fait ! » – et surtout, je l'ai déjà dit, parfait n'existe pas chez moi, c'est tout relatif… Il est là, sous ses yeux émerveillés. Quelques larmes blanches sur fond d'ébène, rien de plus. Ce petit miracle qui ne lui est arrivé que quatre ou cinq foisquatre ou cinq fois deux, trois fois, qui la tient en haleine depuis des années, pour lequel elle est prête à oublier l'angoisse du four vide. Dehors, le soleil darde ses premiers rayons.

bols sur l'autoDe la réalisation
à la mise en scène de l'exposition, Christina peaufine chaque détail
De la réalisation
à la mise en scène de l'exposition, Christina peaufine chaque détail

Rebuts sur le capot
de la Passat… (et je ne
dis pas merci pour la pub)

Là, c'est un coup vache… d'accord, la vue est origina­le, mais valait-elle de me faire autant de peine ? Et d'y avoir associé cette légende en ajoute à mon désarroi… Des bols ingrats que j'avais justement bannis de l'atelier !! (Vous voyez là ce que ça donne quand les blancs ne le sont pas !)

 

Aparté pour novices : pour les sourires :) et autres clins d'œil ;) il suffit de pencher la tête sur la gauche… j'ai mis un an avant de m'en apercevoir et donc de savoir les lire !!! :D

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Merci à Marie-Amal et à la revue des Ateliers d'Art de m'avoir consa­cré cet article ! Réputée un poil tatillonne, je n'ai pu y jeter un œil avant sa paru­tion. J'ai donc ajouté ici ces quelques précisions (cachées pour ne pas nuire au texte original), en espérant que la rédaction n'en prendra pas ombrage :)

Je suis reconnaissante à Marie-Amal de m'avoir proposée aux Ateliers d'Art pour ce portrait et je lui demande pardon d'avoir ainsi charcuté son texte… Celui-ci n'est pas en cause, elle l'a écrit avec sincérité et les raccourcis ou images d'Épinal sont sûrement inévitables : on n'est peut-être pas tou­jours assez explicite pendant l'entretien, d'autant que celui-ci a été le fruit d'une nuit blanche passée à défourner (elle a été bien courageuse !) …
Je pense qu'une relecture commune avant la rédaction définitive aurait pu per­mettre de revoir certaines inter­prétations que je réfute ici, et je mettrais donc en cause l'absence (faute de moyens ?) d'une telle concer­tation – c'est un prin­cipe qui nous met ainsi sans recours devant le fait accompli…
De même pour le choix des ima­ges, là c'est la catastrophe : à la parution je découvre avec stupeur une photo de mes pièces ratées (légendée bizarrement qui plus est) pour illustrer mon travail – ça fait mal ! Alors pardonnez-moi si cela était ingrat, mais j'avais besoin de m'exprimer… à défaut donc ici pour dix pelés et trois tondus …euh… pour vous, mes chers et fidèles visiteurs. :)

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